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28/01/2021 : Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (9&10)

                                                  Richard Palachak

                        Fragments de nuit, inutiles et mal écrits

                                                            Saison 4

                                                                                             Les Bohémiens

Dans ces fragments, les mots slaves sont orthographiés pour être adaptés à une prononciation française

Fragment 9

         Après avoir expédié le gueuleton tchéco, Pan K fait une fleur à Lèoche : une visite nocturne et privée du château, guidé par le concierge officiel, un monument dans le monument. Lèoche l’envoie poliment dinguer tout en me confiant la mission du porteur de soupe à sa place. En gros, j’dois me taper la visite en son nom, car un bienfait ne se refuse pas et que les petits cadeaux slaves entretiennent l’amitié.

         Plein comme une huître polonaise, expressément désigné pour avaler la gracieuseté diplomatique et protocolaire, me voilà capté par un débris d’échalas barbouzard et crado, mûr pour tomber dans les douves du manoir aussi noir que les couilles d’une taupe africaine. Une flambarde à la pogne, un gros chapelet de caroubles à la ceinture, il m’escorte à la grille du château tel un spectre glacé de phosphorescence. Un silence tombal élargit tant l’acuité de la nuit que j’entendrais voler une montre.

         Et nous voilà débarqués, juste après le pont-levis d’apparat, dans une vaste cour pavée bordée de tours et de murailles. Des visions de journée me reviennent et recollent les morceaux d’arabesques et de figures arrondies brunes appliquées sur une enceinte aux reflets dorés. Mais là, dans le duvet ténébreux du borgnon tchèque, on se croirait dans la bastille chtarbée de Vlad l’Empaleur.

         Mon guide se dirige vers le portail du donjon médiéval et je lui emboîte le pas, racolé par son flambeau comme un papillon bituré par une ampoule corrosive. En trois coups les gros, mon panard gauche déquille dans un trou d’obus qu’aucun pélo n’a jamais foulé avant moi. J’encaisse une entorse à tout casser qui déforme illico ma cheville en medicine-ball. Ondrey mon éclaireur en bave des oursins :

-Sacré nom d’une putain tzigane herpétique, en vingt ans de visite du Hradichtè, j’ai jamais gaffé l’existence de cette crevasse !

-Eh ben faudrait mettre une bande de signalisation pour éviter que quelqu’un d’autre ne se vautre.

-J’ferai ça demain. T’as mal ?

-J’dérouille comme un damné kosovar.

-Ouais mais tu peux toujours arquer ?

-Sincèrement, j’me vois mal crapahuter dans cet état.

-Mais tu peux toujours arquer.

-Sans morfler ça m’étonnerait.

-Donc tu peux toujours arquer…

-Tu me charries ou quoi ?

-Chuis pas du genre à débloquer les vannes. Encore moins Pan K.

-C’est juste une vadrouille nocturne dans un château bohémien !

-Non c’est un turbin. Tu as ton contrat et j’ai le mien.

-On n’a qu’à poser nos miches une heure ou deux, se griller des sèches et bavasser. Tu diras que j’ai fait mon job et je dirai que tu as fait le tien.

-Tu as ton contrat et j’ai le mien. Pas de foutaise entre nous ! J’irai pas trimer sur un chantier serbe à cause de tes conneries.

-J’ai une putain d’entorse, Ondrey !

-Tu peux toujours arquer.

Fragment 10

         Première salle : la galerie des armes. Je béquille comme un canard à trois pattes et le calvaire de ma foulure me soulève le cœur au présage d’une admirable syncope. A l’arrêt devant des armures et des lardoires à chier partout, je prends la pose du flamand rose appuyé sur une guibolle et j’affiche le teint beigeasse d’une déjection de pigeon. A deux doigts de gerber…

         Alors ce cornichon d’Ondrey me brode une conférence filandreuse et relou sur l’évangile des anciens seigneurs du manoir et de leurs batailles. Le tout dans un jargon bohémien technique et soutenu que je pige à moitié. Ça n’en finit plus de ne pas finir. Jusqu’à ce que je remarque une paire d’épées droites à larges lames et double tranchant. Les gardes et les pommeaux font se succéder des couches de bois châtaine et de laiton safrané.

        Me voyant bloquer sur ces deux espadons, mon guide rengracie son psaume et me sort :

-Il s’agit de spathas. Des répliques évidemment.

-Connais pas.

-C’était des armes en usage dans l’antiquité, puis les tribus germaniques se les sont appropriées. Tu veux tâter ?

-Comment ça ?

-Ben t’en prends une et je prends l’autre.

-On a le droit de tripoter ces broches antiques ?

-Y’a rien dans mon contrat qui l’interdise.

-Dobrè.

         Sur ces mots, le mecton chope une durandal et me la jette  entre les pognes. Aussi sec, il agriche l’autre et m’assaille d’un coup de taille à me fendre le crâne. Heureusement, mes réflexes d’ancien boxeur me font esquiver d’un pas chassé. « T’es complètement chtarbé ! » que je crie comme un putois. Mais le guide a l’œil du tigre et poursuit l’assaut par un coup d’estoc, illico balayé par ma queue de pelle. Un petit sourire vient encourager ce refus de dérobade. S’ensuivent offensives et parades à qui mieux mieux, phrases d’armes, corps à corps et battements déchaînés. Puis c’est le pompon : mon adversaire arrache une cape d’un mannequin et me la balance au citron pour m’aveugler. Bien que ma cheville dérouille sévère, j’peux pas m’empêcher de rigoler. Du coup tout y passe et vole de droite et de gauche : tabourets, candélabres et chapeaux. Le combat s’achève à bout de souffle, en transe et trempés de sueur, avec un double rire de cachalots beurrés.

         Le mec aurait pu me crever

         mais c’est une rouille de Cracovia qui m’achèvera,

         sortie d’une armoire liturgique emberlificoteuse.

         Ondrey fait péter les tournées de culs-secs en deux deux.

         Puis juste avant de m’éteindre

         en finissant de torcher la vodka

         résonnent ces derniers mots :

         J’ai une putain d’entorse, Ondrey.

        Tu peux toujours arquer.

A suivre… 

 

 

 

Published inBooksPalachak

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